On ne fera pas un monde de demain avec des élus d'hier

Depuis le début de notre période de confinement, certains nous vantent un "monde d'après" qui serait moins brutal que le "monde d'avant", plus humain, plus solidaire...
Certains espèrent une relocalisation de la fabrication des produits de base; d'autres espèrent que les problèmes de mobilité s'arrangent grâce à la (re)découverte du télétravail; on entend parler de dirigeants d'entreprise qui ont compris le message de la crise et qui envisagent de faire participer les travailleurs aux décisions car "on est tous ensemble dans le même bateau" ou encore, on entend parler de responsables politiques qui auraient compris l'importance de la santé et des métiers de base, le lien indissociable entre l'économie et le social ou finalement qu'amasser des biens, si c'est pour se faire dégommer par un virus n'a pas grande importance.
Bref, on pourrait imaginer que même si on peut envisager une crise économique pire que celle des années 30, il y aurait de l'espoir pour une nouvelle humanité.  Certains nous vendent même le retour des licornes montées par des chatons... 


Plus sérieusement, est-ce qu'il y a vraiment des signes concrets qui laissent à penser que la société d'après le coronavirus serait plus humaine, plus solidaire voire simplement plus positive que celle d'avant? 

Certains débats semblent prendre un peu d'importance: le retour de la discussion sur l'allocation universelle; l'arrivée des débats sur le télétravail et/ou le bon équilibre entre travail et vie privée; l'ouverture aux principes de l'intérêt des métiers de base et du besoin de les rémunérer correctement; une toute petite ouverture sur l'équité fiscale entre la finance et le travail ou encore de petits mots sur l'intérêt de l'annulation de certaines dettes d'états (africains) pour repartir à zéro, etc.

A l'inverse, il y a aussi de nombreux signes que rien ne changerait: le retour "à vitesse grand V" des positionnements politiciens et des visions binaires de la société; le blocage rapide entre les groupes de pression de la société civile et les élus alors que le moment est à la recherche de solutions; la réapparition du populisme et des simplismes dans la bouche de nombreux élus malgré la complexité de la situation voire simplement le comportement infantile d'une partie non négligeable de la population face à des règles contraignantes mais simples.

Il y a par contre une constante que l'on ne peut malheureusement pas nier: la partie de la société qui doit le moins se poser de questions sur son avenir pour le moment - car la moins impactée par une potentielle crise économique - est celle qui vit très bien de la politique.  Je ne veux pas caricaturer ou simplifier car je sais que nombre d'élus ne nagent pas dans l'opulence, mais ceux qui gagnent le moins sont ceux que l'on voit le moins, les autres sont ceux qui sont aux manettes ou au contact des dirigeants et donc, in fine, ceux qui ont le plus d'impact sur notre société et notre avenir.  Ils sont les mieux payés car considérés comme "plus responsables".
- "Gouverner, c'est prévoir", disait Emile de Girardin in tempore non suspecto.  Nos élus ont déjà largement démontré par l'exemple qu'ils ne gouvernaient pas, car ils ne prévoient rien, ils réagissent au mieux dans l'urgence.
- "Les exemples instruisent mieux que les préceptes", nous expliquait Isaac Newton dans un passé lointain.  Pourtant, nul exemple, nul symbole dans les décisions actuelles de ces élus: le partage de leurs moyens financiers en temps de crise, il n'en est pas question; l'implication du citoyen dans les décisions qui le concernent pour l'avenir, cela reste hypothétique; etc.

Nous sommes devant un crise qui bouleverse toutes les habitudes et qui renverse les montagnes mais un petit village gaulois résiste devant l'envahisseur "changement": les élus de haut rang.  Et pourtant, j'essaye chaque jour de ne pas faire de poujadisme, mais ils ne m'y aident pas car de quelque côté qu'ils soient, leur éloignement de la réalité et leurs dogmes remontent à la surface.
Le meilleur exemple fut donné via les discours de cette dernière semaine où l'on a retrouvé des débats binaires sur l'économie vs le social (sans avoir de vision à long terme); les oppositions binaires patrons/syndicats qui ne voient pas le bateau qui coule ou le retour à la recherche simpliste de coupables lors des discours du 1er mai.  On a même commencé à ressortir des bons vieux slogans contre le nucléaire d'un côté,  ou pour la lutte des classes d'un autre en n'oubliant pas d'attiser la stigmatisation et la haine d'un troisième côté.

Maintenant, je comprends leur logique: chassez le naturel, il revient au galop et la majorité de ces élus du top ont été "élevés" dans cette optique, avec ces principes.  La particratie actuelle a des codes et des fonctionnements qui lui sont propres et pour arriver à devenir quelqu'un qui compte dans ce milieu, il faut s'y adapter et sans doute se formater au pouvoir et aux œillères qui sont livrées avec.  Je ne pense pas que les trublions, voire simplement les libres penseurs, puissent accéder à des niveaux importants de pouvoir.  Les plus remuants ont d'ailleurs souvent fait courbe rentrante au moment d'arriver aux responsabilités ou ont fini par rapidement disparaître.

Comme le disait très bien le politologue Régis Dandoy dans sa carte blanche de la semaine, en parlant d'une hypothétique commission d'enquête sur la gestion de la crise: "Il faut éviter que les mêmes individus soient juges et parties. C’est pourquoi il est impératif de renouveler le personnel politique afin que ces nouveaux dirigeants soient ceux qui jugeront leurs pairs et évalueront la qualité de leur travail lors de la crise."

J'irais personnellement un cran plus loin: il est illusoire de penser que nos décideurs actuels puissent façonner le monde de demain, un monde où l'on écoute les experts; un monde où l'on écoute les "témoins de vie"; un monde où le citoyen de base est éduqué à la société puis consulté pour prendre des décisions; un monde où l'objectif de la société est un mieux pour plus de monde et pas pour quelques-uns, etc.
Il est tout à fait normal qu'avec leur passé, ils soient incapables de sortir du cadre et de penser en dehors de solutions souvent binaires, dogmatiques ou à court terme (la prochaine élection).

Je suis donc intimement convaincu que pour espérer avoir un vrai changement dans la société - si l'on part du principe que la politique démocratique aura encore droit de citer dans ce monde, ce qui restera à prouver - vers une rénovation pour le monde de demain, il faut changer les décideurs ou les méthodologies de décisions.  Ces dernières étant plus complexes à adapter, vu l'inertie des sociétés, la solution la plus rapide serait donc de renouveler en premier lieu la classe politique en ouvrant les listes à des profils atypiques, à des personnes qui n'ont pas grandi dans le dogmatisme d'un parti.  Bref, il faudrait l'ouvrir à des citoyens qui ont une conscience politique, une certaine expertise, qui sont capables de prendre du recul et de prendre des décisions fermes sur le fonctionnement de la politique (décumul, salaires, lasagne institutionnelle, etc.) parce qu'ils n'en feront pas un métier et n'en ont d'ailleurs ni l'envie ni l'ambition.

On ne fera pas le monde de demain avec des dirigeants du passé et singulièrement des élus d'hier.
J'espère que certains d'entre eux en sont conscients, car le changement - hors révolution sanglante - ne peut venir que de l'intérieur mais comme ils scient rarement la branche sur laquelle ils sont confortablement assis, je continue à avoir de grands doutes quant à un avenir "radieux" et "différent" s'il dépend de décisions politiques...

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